Perruques : Ma tête, tu l'aimes ou tu la quittes !
Perruques : Ma tête, tu l'aimes ou tu la quittes !
Propos recueillis par Palamède Grondin
Dans le cadre de nos dossiers mensuels « cohabitation et capilliculture : la richesse de la différence », nous vous proposons aujourd'hui un article spécial consacré aux rapports parfois difficiles qui se nouent par la force des choses entre un crâne et la perruque qui le recouvre.
Nous avons donc choisi deux perruques, que nous appellerons Camilla et Jean-Patrick1, pour nous parler de leur vécu, de leur ressenti mais aussi de leurs rêves...
Palamède Grondin : Bonjour Camilla, bonjour Jean-Patrick. Commençons si vous le voulez bien. Comment vous est venue cette vocation ? Et avant cela, s'agit-il d'une vocation ?
Camilla : Bonjour Palamède. Eh bien oui, en ce qui me concerne, j'ai envie de dire que pour moi, être une perruque, c'est avant tout une vocation. Notez que je suis une perruque en cheveux naturels, et que cette envie de faire partie un jour d'une perruque totale me tient depuis que je suis touffe petite. J'ai toujours aimé être celle qui rend belle, ce petit plus qui fait qu'on vous regarde dans la rue... (rires)
Jean-Patrick : Bonjour. Ben moi, non, en fait. C'était pas trop prévu, que je sois perruque. Avant, j'étais dans le bâtiment. Enfin, j'étais... Le crâne qui me portait appartenait à un grand type, du genre de ceux qui dirigent et ont des responsabilités. J'étais bien, moi, à l'abri sous un casque de chantier. Et puis un jour, le gars, ben il m'a coupé, presque à ras, pour renouveler son style, qu'il disait. Son coiffeur lui a demandé, il a dit oui. Je me suis retrouvé parmi plein d'autres collègues, on était tous un peu paumés... mais bon, maintenant, je ne le regrette pas, c'est plutôt sympa comme boulot.
P. G. : Comment avez-vous vécu vos premiers pas en tant que perruque ? Y a-t-il eu une période d'adaptation ? Qu'est-ce qui a le plus changé dans votre vie de tous les jours ?
C. : Pour moi, ça a été un peu comme la consécration de toute une vie d'attente, j'en rêvais depuis si longtemps. Cela dit, ça n'a pas été facile de m'y habituer, au début. C'est vrai que de passer la nuit ailleurs que sur une tête, ça fait un peu bizarre, vous ne trouvez pas ? (rires) Non, vous ne pouvez pas comprendre. Enfin, passés les premiers moments d'étonnement, il faut dire quand même que c'est assez agréable. On est l'objet d'attentions particulières, on se sent précieux et unique, c'est très valorisant.
J.-P. : Cela a été très difficile, pour moi. Je me suis senti complètement rejeté, doublement, même. Ben oui, mon ancien patron s'est séparé de moi sans ménagements, et mon nouvel employeur... on peut pas dire qu'il était ravi de m'avoir. Parce qu'il n'avait pas eu le choix. Ça a été très dur pour lui de m'accepter. Maintenant, ça va mieux, d'autant que je sais me faire très discret. Et puis quand on est malade, tout est plus difficile, on peut pas toujours lutter contre tout. Là, ça va mieux. Peut-être qu'il va me mettre en repos ou au chômage technique d'ici peu, d'ailleurs.
P. G. : Et les moments difficiles, comment réussissez-vous à négocier... je ne sais pas, quelques jours de vacances ? Avez-vous parfois envie... d'autre chose ?
C. : Oui, c'est vrai, on ne peut pas le nier, c'est assez répétitif, comme travail. Le matin, brossage intensif, sculpture corporelle au gel, application, fixation, coiffage final... C'est vrai, parfois, c'est un sacerdoce. Il en faut de la patience, de la rigueur, c'est presque un abandon de soi, il faut faire confiance et se laisser porter (rires). Sans compter que parfois, on n'y arrive pas, alors la patronne s'énerve comme si c'était de notre faute. Comme nous sommes plusieurs sur le poste, je suis parfois contente d'être un peu laissée tranquille de temps en temps, ça me délasse et je peux ensuite reprendre le travail du bon pied. Enfin... de bon poil ! (rires)
J.-P. : Ben c'est sûr que pour moi, c'est pas très rock'n roll, ce job. À choisir, j'aurais préféré être carrément ailleurs, mais bon, c'est la vie. Pour les vacances, j'en ai pas eu depuis des mois... ah non, si, une fois, il a voulu essayer sans moi, pour voir. Ben ça n'a pas été chouette, je vous le dis. Comment il est revenu me chercher, le gars ! Bon, d'un autre côté, moi, si je suis pas avec lui, ben, je m'ennuie pas mal. Il y a rien d'autre à faire chez lui, j'ai pas de collègues pour discuter le coup, pas d'amis, bref... j'aime autant être employé. Surtout que comme j'ai dit, ça va mieux, alors après, mon avenir est incertain, je sais pas s'il va me garder ou me mettre au placard.
P. G. :On sent chez tous les deux une vraie volonté de bien faire. Dites-moi, et si un jour, tout cela devait s'arrêter ?
C. : Oh, non, je ne crois pas que cela arrive un jour. Ma patronne est bien trop contente de moi ! Mais je ne suis pas sa seule employée, vous savez. Et puis, elle est très célèbre... Vous voyez de qui il s'agit, non ? Bref, je ne me fais pas de soucis. Tout va bien pour elle, et donc pour moi. (rires). Et puis je suis bien sûre que si cela devait se terminer, je serais mise aux enchères et vénérée par mon acheteur comme une sainte relique. Ce qui me conviendrait tout à fait, je suis un peu superficielle vous savez.
J.-P. : Moi, j'avoue que je suis un peu inquiet. C'est le fait de pas savoir, qui est dur. Vous comprenez, moi, je sais rien faire d'autre, j'ai pas de diplôme, je me suis formé sur le tas – façon de parler, bien sûr. Alors si tout devait s'arrêter, ben je serais bien embêté. Mais je garde espoir, après tout, je pourrai peut-être retrouver un job équivalent, avec plus ou moins les mêmes garanties. Mais rien n'est moins sûr, de nos jours, vous savez, il ne faut jurer de rien. C'est déjà bien d'avoir tenu jusque là, après, ben... je peux qu'espérer. Mais c'est pas ça qui me fera vivre. J'ai pas encore assez de points retraite, et d'ici là, ils vont encore voter des trucs pour me rallonger mes trimestres, et je ne sais quoi, encore. On verra, de toutes façons, on ne peut pas prédire l'avenir, pas vrai ?
P. G. : En effet, Jean-Patrick, en effet. Merci à tous les deux, et bonne chance pour la suite.
À lire :
« Cheveux, poils et cils : L'art de pousser sans se faire remarquer. » P. Ruque, Éditions Laque.
« Le gang bang des Postiches » D. Mêlant, Éditions Pilos.
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